De la bohème parisienne aux champs de bataille de la Première Guerre mondiale, l’art de Félix Vallotton a été forgé dans une époque de grandes turbulences — mais sa vision est restée étonnamment personnelle et unique. Voilà un artiste qui n’a pas seulement capturé l’essence de son temps ; il a su y imprimer sa marque distinctive, oscillant entre un réalisme incisif et une ironie mordante. Découverte !

l age du papier gravure felix vallotton pour le cri de paris

Félix Vallotton, l’artiste suisse qui a conquis Paris

Né à Lausanne en 1865 dans une famille modeste et protestante, Félix Vallotton n’a pas tardé à tracer sa route vers Paris, poussé par ses ambitions artistiques dès l’âge de 16 ans. C’est là, au cœur de l’effervescence artistique, qu’il a forgé sa réputation. Devenu citoyen français en 1900, il a vécu le reste de sa vie en France, mais est resté fidèle à des modes de représentation traditionnels, privilégiant la réalité face aux expérimentations qui ont mené à des mouvements d’avant-garde comme l’Impressionnisme ou le Cubisme.

Dans les années 1890, Vallotton se fait connaître grâce à ses illustrations pleines d’esprit qui se moquent de la bourgeoisie et satirisent la vie quotidienne chaotique de la ville. Il est vite devenu un membre associé des Nabis, nouant des liens étroits avec des figures clés comme Pierre Bonnard et Edouard Vuillard. Cependant, son mariage en 1898 avec Gabrielle Rodrigues-Henriques, veuve aisée et sœur des propriétaires de la célèbre galerie Bernheim-Jeune, l’a ancré dans la classe sociale qu’il avait auparavant critiquée. Assuré d’un avenir financier stable, Vallotton abandonne le style qui l’avait rendu célèbre pour se consacrer à la peinture. Il développe alors un style tranchant et troublant, caractérisant les nombreux nus, natures mortes et paysages qu’il réalise dans les dernières 25 années de sa vie. Son ami Thadée Natanson avait bien raison : Vallotton était véritablement un artiste hors norme…

peinture magnifique coucher de soleil par le peintre suisse et graveur felix vallotton

Le maestro de la gravure

Virtuose de l’estampe, Félix Vallotton a su redonner ses lettres de noblesse à la tradition européenne de la gravure sur bois, un art qui avait perdu de son éclat depuis la Renaissance nordique et ses figures emblématiques comme Albrecht Dürer. Dès 1891, Vallotton adopte ce médium et s’impose rapidement comme l’un des graveurs les plus accomplis et recherchés de son époque.

felix vallotton gravure les trois baigneusesfelix vallotton le bibliophile felix vallotton deux chats
graveur Vallotton La Jungfrau gravure sur bois felix vallotton les cygnes
felix vallotton c est la guerre

Avec un esprit acéré et une maîtrise technique hors pair, il exploite le contraste dramatique de l’encre noire sur papier blanc pour créer des scènes radicalement simplifiées de la vie publique et privée à Paris. Inspiré par les ombres chinoises qu’il avait vues au Cabaret du Chat Noir, ses vignettes, empreintes d’un mépris caustique, moquent la bourgeoisie : hommes et femmes y mènent des vies d’infidélité et de malhonnêteté, hypocrites et hédonistes. Ailleurs, des manifestants s’agitent dans des soulèvements anarchistes, des passants se précipitent pour s’abriter de la pluie, et des acheteurs quêtent les derniers produits de luxe.

La falaise de la greve blanche felix vallotton peinture

Bien plus qu’un peintre et graveur…

Félix Vallotton était un artiste aux multiples facettes, bien au-delà de la peinture et de la gravure. Écrivain et dramaturge, il a écrit trois romans et huit pièces de théâtre, en plus de concevoir des décors de scène, de prendre des photographies et de sculpter. Son roman le plus célèbre, La vie meurtrière, met en scène Jacques Verdier, un personnage doté d’un pouvoir tragique : tous ceux qui croisent son chemin meurent dans un accident. Vallotton a lui-même illustré ce roman dans un style sombre et humoristique, similaire à celui de ses estampes indépendantes telles que Le Meurtre.

serie de gravures felix vallotton les petites baigneuses

Son ami Vuillard, cofondateur de la compagnie théâtrale le Théâtre de l’Œuvre en 1893, a inspiré Vallotton qui a participé à la création de décors et de programmes pour ce théâtre. Poussé par ces expériences, Vallotton s’est lancé dans l’écriture théâtrale et, en 1904, sa pièce Un Homme très fort a été jouée au Théâtre de Grand Guignol à Paris. En 1899, après avoir acquis un appareil photo Kodak, il commence à capturer des instantanés de son environnement : vacances d’été, scènes domestiques et visites à des amis. Ces images devenaient des aides-mémoire pour ses peintures, qu’il retravaillait dans son atelier, manipulant les compositions pour créer des versions de la réalité étranges et fictionnalisées.