On pourrait penser que le mécénat artistique est un phénomène récent, porté par de grandes multinationales qui, souvent, y dédient des fondations éponymes. Mais il n’en est rien… C’est depuis l’Antiquité que le mécénat artistique existe, tour à tour l’apanage de riches bienfaiteurs ou simplement de passionnés, se voulant protecteurs des arts et influençant l’art à travers les âges. De Périclès à Peggy Guggenheim, en passant par Charlemagne, Isabelle de Bavière, et les illustres Médicis, découvrez comment ces personnalités charismatiques ont non seulement marqué l’histoire de l’art occidental mais aussi celle de leurs époques respectives !
Caius Cilnius Maecenas, le père du mécénat
Quand on évoque le terme de « mécène », un nom historique vient immédiatement à l’esprit : « Caius Cilnius Maecenas ». Cet homme, dont le nom a donné naissance aux mots mécène et mécénat, reste pour beaucoup une figure mystérieuse, pourtant centrale dans l’histoire de la Rome Antique.
Nous sommes au cœur de la guerre civile romaine, dans la tourmente du Triumvirat, juste après l’assassinat de César au milieu du 1er siècle avant J-C. Mécène, une personnalité politique influente, chevalier et diplomate, joua un rôle clé aux côtés de son ami Octave, le futur Empereur Auguste. Bien que restant à l’écart des honneurs officiels, Mécène contribua significativement à la fondation de l’Empire romain et à la restauration de la République, influençant discrètement les sphères du pouvoir.
Mais au-delà de la politique, ce qui immortalise Mécène dans l’histoire, c’est son amour profond pour les arts et les lettres. Protecteur de poètes renommés tels que Virgile, Horace et Properce, Mécène est loué dans leurs écrits pour sa générosité désintéressée. Il ouvrait ses jardins somptueux pour des banquets, rassemblant poètes et musiciens, sans jamais imposer de propagande ou de restrictions à leur créativité. Son soutien aux arts était libre et pur, permettant aux artistes de s’exprimer sans entraves.
Les pionniers du mécénat, des rois et prêtres aux empereurs
Nous vous le disions, les premières formes de mécénat prennent racine dans l’Antiquité, où l’art était perçu comme un symbole de pouvoir et de culte. Ce lien intime entre l’art et le pouvoir a vu l’émergence des premiers mécènes, notamment parmi les rois et les prêtres. En Egypte antique, la grandeur des pharaons s’affichait à travers la construction des pyramides, tandis qu’en Grèce, l’art reflétait la splendeur des « tyrans éclairés ». Le Ve siècle avant J-C, connu comme le « siècle de Périclès », a vu la naissance de merveilles architecturales telles que l’Acropole et le Parthénon d’Athènes. A cette époque, l’artiste était souvent un simple artisan anonyme, son œuvre magnifiant la grandeur de son protecteur plutôt que sa propre créativité.
Des collections d’objets précieux, les premiers « trésors » ou ex-voto, furent conservés dans les temples de la Grèce antique comme ceux d’Olympe et Delphes. Ces collections témoignent de la dévotion et de la puissance des premiers mécènes religieux. Le mécénat atteint une autre dimension avec Ptolémée, ancien général d’Alexandre le Grand et lui-même grand mécène. Il fut l’instigateur de la construction du Mouséion, une université gratuite pour érudits, et de la fameuse Bibliothèque d’Alexandrie, deux établissements qui marquent un tournant dans la période hellénistique, symbolisant la soif de connaissance et le prestige culturel.
A Rome, dès le IIIe siècle avant J-C, les collections privées de statues, de bronzes et les premières pinacothèques (galeries de tableaux) voient le jour, souvent à la suite des pillages de guerre. Les empereurs romains, comme Auguste et Néron, ont également joué le rôle de mécènes à travers de grands projets architecturaux affirmant leur domination. Et bien que le mécénat à cette époque privilégie surtout les poètes et les écrivains, les artistes, considérés comme de simples artisans, ont, malgré leur anonymat, laissé derrière eux un héritage d’œuvres d’art et d’édifices majestueux.
De la ferveur religieuse à l’essor laïc : une brève histoire de l’évolution du mécénat
Au début du Moyen-Âge, avec l’avènement du Christianisme, l’art païen est largement éclipsé, entraînant une perte considérable du patrimoine artistique antique. Pour autant, cette période marque l’essor d’un nouvel art chrétien, centré autour du « culte des images sacrées ». Le mécénat privé et les collections individuelles cèdent alors la place à un mécénat principalement religieux… Les œuvres d’art, souvent créées par des religieux, trouvent ainsi leur place dans les églises et monastères, à travers des manuscrits enluminés ou des ex-voto.
Les moines, notamment les Bénédictins au XIe siècle et les Cisterciens au XIIe, deviennent des bâtisseurs émérites. Parmi les grands mécènes religieux, on compte l’abbé Didier du Mont Cassin, futur pape Victor III, qui favorise la copie de manuscrits et l’enluminure, et l’abbé Suger de Saint-Denis, précurseur du nouvel art gothique avec ses nombreuses innovations architecturales à l’abbaye de Saint-Denis. Parallèlement, les souverains jouent un rôle de plus en plus important dans le mécénat des arts. Charlemagne, par exemple, favorise une véritable renaissance culturelle, connue sous le nom de « réforme carolingienne », où l’art et les études sont vivement encouragés. Cette période voit également les courtisans et chevaliers emboîter le pas de leurs souverains dans le soutien aux arts.
A l’époque gothique, un mécénat plus laïc et bourgeois émerge, avec la construction et la décoration somptueuse de châteaux, palais et autres demeures. Des artistes comme Giotto bénéficient du soutien de riches familles de banquiers italiens, tels que les Peruzzi ou les Bardis, pour qui il réalise des fresques dans la Basilique Santa Croce de Florence. Les collections privées connaissent un renouveau, avec une nouvelle esthétique, notamment celles du Duc de Bourgogne et de son frère le Duc Jean de Berry, constituées par passion personnelle. Vous l’aurez compris, cette période marque une transition significative dans l’histoire du mécénat, de l’empreinte profonde de la religion à une approche plus laïque et personnelle de l’art, ouvrant la voie à plus de styles et d’expressions artistiques.
Les grands mécènes aux XIXe et XXe siècles
A la confluence des XIXe et XXe siècles, certains mécènes ont laissé une empreinte indélébile dans le monde de l’art. Des Russes passionnés comme Ivan Abramovitch Morozov et Sergueï Ivanovitch Chtchoukine se sont illustrés en rassemblant des collections d’œuvres impressionnistes, postimpressionnistes, nabis, fauvistes et cubistes, popularisant ainsi l’art avant-gardiste en Russie. Malgré les troubles politiques à Moscou et l’émigration forcée, leurs collections confisquées ont enrichi les musées nationaux russes.
Aux Etats-Unis, Louisine Havemeyer, activiste féministe et amatrice d’art initiée par Mary Cassat, a joué un rôle clé dans l’essor de l’impressionnisme. Sa vaste collection, partagée avec son mari, a été généreusement léguée au Metropolitan Museum of Art de New York. Et en France, la Marquise Arconati-Visconti a marqué le monde des arts et des lettres en construisant une collection éclectique, enrichissant plusieurs musées parisiens. Grande mécène, elle a aussi soutenu la recherche universitaire et fait des dons significatifs à des institutions éducatives.
Le couple Cognacq-Jay, connu pour leur philanthropie, a également laissé son empreinte dans le monde artistique avec leur collection d’œuvres du XVIIIe siècle. Initialement exposée dans leur célèbre magasin La Samaritaine, cette collection est désormais abritée dans le musée Cognacq-Jay à Paris. Pour sa part, Nélie Jacquemart-André, portraitiste de renom, a créé une collection d’art internationale au gré de ses voyages avec son mari. A sa mort, elle a légué ses biens à l’Institut de France, transformant ses demeures parisiennes en musées Jacquemart-André.
Enfin, dans l’entre-deux-guerres, l’implication de mécènes américains dans la sauvegarde du patrimoine français se matérialise par le soutien de John D. Rockefeller Jr. à la restauration de lieux emblématiques tels que le Château de Versailles, le Château de Fontainebleau et la Cathédrale de Reims. Le moins que l’on puisse dire est que son action a inspiré de nombreux mécènes étrangers à investir dans la préservation de l’art et du patrimoine européens.
Le mécénat en France aujourd’hui
Autrefois simple soutien financier à un artiste, le concept de mécénat a bien évolué dans la France contemporaine. Aujourd’hui, il est perçu comme une collaboration où l’artiste œuvre non plus au service d’un donateur, mais au service de l’art lui-même, en accord avec la vision de Kandinsky qui, dans son ouvrage « Du Spirituel dans l’Art » de 1910, définissait l’art comme une « nécessité intérieure ».
Par ailleurs, le mécénat moderne peut se manifester sous diverses formes, à savoir financière, en nature, ou de compétence, alliant ainsi dons monétaires, mise à disposition de locaux ou de matériaux, et partage de savoir-faire spécifiques. Partant de là, plusieurs types de bénéficiaires se distinguent : le mécénat de production pour la création artistique, le mécénat patrimonial pour la conservation de monuments, le mécénat pour les collections de musées, et le mécénat d’animation pour l’organisation d’événements culturels.
L’Etat français, bien qu’il ne soit pas un mécène à proprement parler, joue un rôle capital en soutenant le mécénat, notamment à travers des subventions et des aides diverses. Depuis la seconde moitié du XXe siècle, les actions de l’Etat se concentrent sur l’aide à la création et l’enrichissement des collections nationales, ainsi que sur la démocratisation de l’accès à la culture. On peut évoquer un « mécénat culturel d’Etat », particulièrement actif depuis les années 1960 avec les ministères Malraux puis Lang.
A l’heure actuelle, les mécènes sont principalement des entités morales comme des entreprises, des fondations, des associations, mais aussi des particuliers. Ces derniers, qu’ils soient de riches amateurs d’art ou de grands collectionneurs, contribuent significativement à l’essor artistique, un peu à l’image de ce qui se fait Outre-Atlantique. Leur passion pour l’art les amène souvent à s’engager dans la promotion d’artistes, à vouloir offrir leur collection au public ou à sauvegarder des monuments, indépendamment de leur situation financière.
D’un point de vue réglementaire, la législation sur le mécénat artistique en France a connu d’importantes évolutions, notamment avec la loi Aillagon de 2003. Dans le détail, cette législation clarifie la définition du mécénat et améliore son régime fiscal, offrant notamment aux mécènes privés des réductions d’impôt en échange de dons à des organismes d’Intérêt Général. Si tous les donateurs et causes ne bénéficient pas de ce régime, les entreprises, en particulier, profitent d’une revalorisation de leur image.
Zoom sur quelques figures majeures du mécénat contemporain
Sans surprise, le paysage du mécénat contemporain est marqué par des personnalités et des initiatives remarquables qui ont profondément influencé le monde de l’art et du patrimoine. Parmi elles, Marguerite « Peggy » Guggenheim (1898-1979) se distingue comme une des plus grandes mécènes et collectionneuses d’art moderne du XXe siècle. Autodidacte et indépendante, elle a joué un rôle indéniable dans la reconnaissance d’artistes alors méconnus, à travers sa galerie à Londres et son musée à Venise, devenu une référence mondiale en la matière.
Comment ne pas évoquer la famille Rothschild, figure emblématique de la philanthropie, qui a enrichi au fil des siècles des institutions telles que le Louvre et la Bibliothèque Nationale de France de près de 120 000 œuvres d’art, témoignant d’une passion aussi profonde qu’éclectique pour les arts. Il en va de même de la Sauvegarde de l’Art Français, fondée en 1921, et la Fondation du patrimoine, créée en 1996, qui s’engagent dans la préservation et la valorisation du patrimoine français, en mobilisant mécénat, subventions publiques et financement participatif.
Pour sa part, Bernard Arnault, avec la Fondation Louis Vuitton inaugurée en 2014, a créé un espace dynamique dédié à l’art moderne et contemporain, organisant des expositions temporaires mettant en lumière des artistes de renom. Mais encore, l’A.D.M.I.C.A.L., fondée en 1979, promeut le mécénat d’entreprise, encourageant les actions en faveur de la culture, mais aussi de l’action humanitaire, de la solidarité et de l’environnement.
Par ailleurs, le Musée des Beaux-Arts de Lyon a pu enrichir sa collection d’œuvres majeures grâce au soutien de mécènes, comme pour l’acquisition en 2007 d’un tableau de Poussin et en 2016 d’une œuvre de Corneille de Lyon, soulignant l’importance du mécénat dans l’enrichissement culturel. Enfin, les campagnes de restauration participatives, comme celle menée par le Musée des Beaux-Arts de Lyon pour la restauration d’un sarcophage égyptien, illustrent une nouvelle forme de mécénat interactif et ouvert à tous.